
Bonjour à vous chères lectrices, ici Jérémy Bigot pour un nouvel article du blog de la femme aux escarpins roses.
Dans ce nouvel article, Samantha avait envie que je vous raconte la soirée de notre première Saint-Valentin. Elle fut mémorable, pour elle comme pour moi, mais pour différentes raisons.
« Je sors de mon rendez-vous avec Agnès et j’attends qu’elle referme la porte pour me mettre à courir vers l’ascenseur. Comme il tarde à monter, je prends les escaliers que je dévale aussi vite que possible, ma sacoche rebondissant sur mon épaule, en prenant garde à ne pas tomber. Il manquerait plus que je débarque à notre soirée avec un bras dans le plâtre.
Je ne suis pas avance. J’ignore pourquoi Agnès m’a gardé aussi longtemps dans son bureau, elle qui est plutôt du genre expéditif d’ordinaire, avait beaucoup de choses à me dire. Mais il fallait que ça tombe aujourd’hui. Moi j’ai eu beaucoup de mal à rester concentré et pourtant c’était de la sortie prochaine de mon roman « La femme aux escarpins roses » dont on discutait.
Oui, mais voilà, aujourd’hui, c’est la Saint-Valentin. Notre première Saint-Valentin à Sam et moi. Elle nous a prévu une soirée en amoureux et nous a même réservé une chambre à L’Auberge fleurie pour que nous soyons tranquilles puisqu’elle vit toujours chez ses parents en attendant de trouver un nouveau domicile. Elle a dû quitter son travail et son appartement assez rapidement pour être disponible pour la reprise de la boutique de Florence. Sa boutique maintenant.
Lorsque j’atteins enfin le trottoir, je hèle un taxi qui passe par là, une chance pour moi. Pas de bus, je n’ai pas le temps. Je dois encore rejoindre ma fiancée qui se trouve à plus de 500 kilomètres. J’aurai dû annuler le rendez-vous avec Agnès, mais je connais mon éditrice, elle me l’aurait fait payer tôt ou tard. J’espère que ma fiancée aux escarpins roses ne m’en tiendra pas rigueur si j’arrive en retard à notre première Saint-Valentin.
Je donne l’adresse de L’Auberge fleurie au chauffeur de taxi qui se retourne pour me regarder d’un drôle d’air.
— Vous êtes sérieux ? me demande-t-il en désignant le petit carton que je lui ai tendu une seconde plus tôt.
C’est le petit carton qu’Agnès m’avait donné en me recommandant d’aller me changer les idées à la campagne, avant que ma vie ne change complètement. C’était il y a quelques semaines et pourtant j’ai parfois la sensation qu’il s’est écoulé plusieurs années depuis ce jour.
— Oui. Pourquoi il y a un problème ?
— Vous savez que c’est la Saint-Valentin, Monsieur ?
— Oui, bien sûr. C’est pour cela que je dois me rendre à cette adresse, ma fiancée m’attend là-bas.
Le chauffeur me rend la carte de l’auberge.
— Eh bien, bon courage, moi je ne vous y conduirais.
— Mais…
— Je suis désolé. Bonne soirée.
J’en reste sans voix un instant puis sort du véhicule, déçu.
Je sors mon téléphone portable pour commander un taxi qui me conduira jusqu’à ma fiancée. Bizarrement, il y en a très peu de disponible, mais j’arrive tout de même à en réserver un. Et près de dix minutes plus tard, je suis en route pour retrouver mon amoureuse. Je me laisse tomber contre le dossier de cuir en soupirant.
Épuisé d’avoir couru toute la journée, je m’assoupis quelques instants. Quand je rouvre les yeux, nous sommes arrêtés au milieu de l’autoroute.
Je me penche vers la fenêtre, les trois autres voies sont aussi à l’arrêt. Je m’avance pour parler au chauffeur.
— Excusez-moi, vous savez ce qu’il se passe ?
L’homme lève les yeux vers son rétroviseur.
— Non, mais je pense que c’est un accident. Il y a rarement des bouchons sur cette route, sauf en cas d’accident.
Je regarde l’heure sur mon téléphone portable en soufflant. Je sais que c’est égoïste de ma part, je ne pense qu’à ma soirée alors que des gens sont peut-être gravement blessés, mais je tiens tant à ce que notre première Saint-Valentin soit mémorable que je désespère d’arriver en retard. Surtout que je sais de source sûre que Sam a préparé cette soirée avec soin. Louisa m’a téléphoné pour me donner des idées de cadeaux pour sa sœur. Comme si j’avais besoin de cela pour savoir ce qui ferait plaisir à ma fiancée. Bon je l’avoue, j’ai pris note de ses idées pour plus tard, même si j’avais déjà choisi mon cadeau depuis un moment. D’ailleurs, je n’ai pas besoin de connaître Sam depuis des années pour savoir que mon cadeau lui plaira, je n’ai aucun doute là-dessus.
— Est-ce que vous pensez qu’on pourrait sortir de l’autoroute et prendre un autre chemin ? je m’enquiers plein d’espoir.
— Peut-être. Mais on n’a pas bougé depuis dix minutes alors j’ignore combien de temps il nous faudra pour rejoindre la prochaine sortie.
J’envisage une seconde de la rejoindre à pied, en longeant la bande d’arrêt d’urgence peut-être que… Mais je change aussitôt d’avis quand je me souviens que l’espérance de vie sur cette voie n’excède pas quelques secondes.
— OK, merci.
Je m’enfonce dans mon siège. Et c’est à cet instant que je me rends compte que quelque chose cloche. Je ne me souviens pas d’avoir posé le sac contenant le cadeau de Sam dans le taxi. En un éclair et sans regarder si ce que je crois être vrai l’est, je me refais ma journée en sens inverse. Dans aucun de mes souvenirs, je ne me revois avec le fameux sac. Ma sacoche oui, mais pas le sac. L’évidence me frappe, j’ai oublié le cadeau de Saint-Valentin de ma fiancée sur la table de mon appartement. J’étais tellement pressé de partir que j’en ai oublié son cadeau.
— Quel imbécile ! je m’exclame sous le regard curieux du chauffeur. J’ai oublié le cadeau de Saint-Valentin de ma fiancée.
Il hausse les sourcils en acquiesçant doucement de la tête.
Je penche pour ramasser ma sacoche et l’ouvre comme si le cadeau de Sam pouvait s’y trouver. Comme par magie, la boite contenant les magnifiques escarpins vintages que j’ai dénichée pour elle, aurait sauté de son sac plastique jusque dans ma sacoche pour sauver le pauvre idiot sans tête que je suis. Évidemment, non.
Je regarde l’heure qui défile sur le tableau du chauffeur. En plus d’arriver en retard et sans cadeau à notre première Saint-Valentin, je vais arriver ruiné.
Je prends une profonde inspiration et envoi le message que je redoutais d’envoyer : prévenir Sam que je serais en retard. Je m’excuse mille fois et lui explique qu’il y a eu un grave accident qui a complètement bouchée la route. Ma chère et tendre amoureuse me répond qu’elle m’attend et que ce n’est pas grave, le principal c’est que j’arrive entier, mais je sens bien que ça la contrarie. Et je le comprends, moi aussi. Je voulais que cette première fois soit parfaite.
Il nous faut patienter encore plus d’une heure avant de recommencer à avancer. Lentement certes, mais on avance. Il était temps. J’étais à deux doigts de sortir de cette voiture en hurlant. Mes jambes commençaient à tressauter dans les tous les sens et ma pression artérielle n’était pas au mieux.
J’ai tenté de me détendre pour me rendormir et ne pas subir ce massacre de la Saint-Valentin, mais rien à faire, j’étais beaucoup trop nerveux. Alors Paul, le chauffeur, et moi avons discuté, même si je dois bien l’avouer, je n’ai pas été un compagnon de discussion des plus agréables.
Je me fais l’effet d’être un bel égoïste sans cœur et sans cervelle ce soir. Mais si on continue d’accélérer de la sorte, je devrais arriver à temps pour le dessert.
Je commence enfin à me détendre. La berline roule vite sur l’autoroute qui est maintenant dégagée. Tout va bien se dérouler à présent, j’en ai la certitude car je reste un indécrottable romantique : l’amour triomphe toujours et la femme aux escarpins roses et moi on s’aime très fort.
C’était sans compter sur cette terrible poisse. Un étrange bruit me tire de ma torpeur en sursaut.
— Oh merde ! s’exclame Paul.
Et là, je sens mon estomac se contracter de stress.
Paul allume aussitôt ses feux de détresse et nous déporte lentement sur la voie d’urgence.
— Qu’est-ce qu’il se passe ? je demande en commençant à paniquer.
— Je crois qu’on a crevé.
À cet instant précis, je jure qu’on nous a jeté un sort à Sam et moi, qu’on est maudit et que la Saint-Valentin n’est pas pour nous. J’aurais peut-être mieux fait de rester chez moi ! On aurait pu fêter cette maudite fête demain ou un autre soir, finalement ce n’est qu’une fête commerciale !
Je regarde Paul s’affairer jusqu’à ce qu’il se penche par la fenêtre ouverte de la portière arrière pour me dire :
— La dépanneuse devrait en avoir pour une heure.
— Quoi ? Mais vous ne pouvez pas la changer vous-même ?
Paul secoue la tête et je ferme les yeux pour ne pas hurler.
— Mon pneu de secours est à plat, répond-il en levant les mains en signe d’impuissance. Désolé, je viens de le découvrir.
— Ce n’est pas votre faute, Paul. Je crois que je suis maudit sur ce coup-là. On est à combien de kilomètre de l’auberge ?
— Environ 200.
Et il est déjà 18h.
Je sors alors de la voiture, passe les barrières de sécurité, évitons de mourir tant qu’à faire, et je commence à faire les cent pas sur le bas-côté de la route.
Mon téléphone portable sonne.
Samantha.
Je décroche malgré le bruit assourdissant des voitures qui passent à toute vitesse.
— Allô, ma chérie !
— Jérémy ? Où es-tu ? Tout va bien ?
J’entends à peine sa voix.
— Je suis vraiment désolé ma chérie, le taxi a crevé un pneu et on attend une dépanneuse. Je m’excuse de tout cœur ma puce, je…
Bip ! Bip !
Je regarde mon téléphone choqué qu’il ait osé raccrocher, mais l’écran est éteint. Je tente de le rallumer, sans succès. Il ne manquait plus que cela.
Furieux, je manque de le jeter sur la route, mais me retient au dernier moment. Il est mon seul moyen de contact avec Samantha.
Quand la dépanneuse arrive enfin, j’ai enfin d’embrasser le mécanicien bedonnant comme s’il était le messie. Je sais que je n’arriverais pas à l’heure à ma soirée de Saint-Valentin, mais à présent tout ce que je veux c’est retrouver ma fiancée.
Les deux hommes discutent tranquillement pendant que la voiture est chargée sur le plateau. De mon côté, je continue à arpenter l’herbe mal coupée qui borde l’autoroute. J’ai besoin de bouger où je vais devenir fou.
Puis nous montons à l’avant de la dépanneuse et partons pour le garage le plus proche. À cette heure tardive, aucun garage n’est ouvert, mais Paul a contacté l’un de ses confrères pour qu’une voiture vienne me récupérer. J’en profite pour demander au mécanicien si je peux charger un peu mon téléphone sur son allume-cigare et il accepte gentiment. Enfin un point positif dans cette soirée maudite.
Par chance, lorsque nous arrivons devant le garage fermé, une voiture m’attend effectivement. J’en pleurerais de joie que quelque chose se passe correctement aujourd’hui.
Je salue Paul et je repars en direction de ma soirée de Saint-Valentin.
Mon nouveau chauffeur est moins rapide que Paul et je regarde les minutes défilées comme si c’étaient des secondes.
— Vous ne pouvez pas accélérer un peu ? Je suis en retard pour ma soirée de Saint-Valentin ! je tente pour le motiver un peu.
— Les limitations sont les limitations, je tiens à conserver mon permis.
L’homme, d’environ quarante ans, me sourit en se tournant rapidement vers moi.
Je ne réponds pas, bien trop anxieux pour discuter tranquillement alors que ma soirée me file entre les doigts.
J’envoie un nouveau texto à Samantha pour lui dire que je suis en chemin, que je ne suis pas loin mais cette fois, je n’ai pas de réponse. Je ne peux pas lui en vouloir de me faire la tête, il est déjà 22h. Le dîner doit être froid, les bougies fondues.
Alors que nous sortons enfin de l’autoroute, je me fais le serment de ne plus manquer ce genre de première fois pour le travail. Agnès aurait pu attendre un jour ou deux. Je dois apprendre à dire « merde » à mon éditrice. Et tant pis, si je perds mon travail. Sam est plus importante que mon boulot.
Il est 23h15 quand je passe enfin la porte de l’auberge. J’ignore comment il est possible qu’il soit si tard alors que nous étions si proche une heure plus tôt. Je soupçonne le chauffeur de taxi d’avoir son permis depuis peu de temps.
Assise à l’accueil, Violette me salue chaleureusement, ses cheveux roux dénoués encadrent son visage.
— Bonsoir Violette. Qu’est-ce que vous faites encore debout ?
— Je vous attendais. Je voulais être sûre que vous arriviez entier jusqu’ici. Sam est venue me raconter vos mésaventures.
Elle lève les yeux vers l’escalier.
— Elle n’est pas descendue me voir depuis un bon moment. Elle s’est peut-être endormie.
Je soupire et remercie Violette de sa gentillesse, puis je monte à l’étage.
Sam a réservé la plus grande chambre.
Quand j’entre, je la découvre effectivement endormie sur le lit. Elle porte une tenue incroyable sexy, ou plutôt un dénudé sexy. Il est de la même couleur rose que ses escarpins et je souris. Les deux chaussures sont posées dans un coin de la pièce.
Près de la fenêtre, ma fiancée avait dressé une table et préparé un dîner qui avait l’air succulent.
Je me penche vers elle et pose doucement ma bouche sur ses lèvres.
Elle ouvre un œil et cligne des paupières en baillant.
— Tu es là, marmonne-t-elle d’une toute petite voix.
Elle se redresse sur ses coudes.
— Sam, je suis vraiment désolé, ça a été un désastre complet ce soir. Tu sais, je crois que je suis maudit.
Je retire mes chaussures et mon manteau.
— Je m’excuse vraiment, je n’aurais pas dû aller à ce rendez-vous. J’aurai dû le déplacer. Je voulais tellement que cette première Saint-Valentin soit parfaite. J’espère que tu voudras bien me pardonner.
Elle m’embrasse en souriant.
— Ce n’est pas grave. Je comprends, tu sais. Ce n’est pas ta faute si tu es resté coincé dans les bouchons et le pneu crevé. Tu ne pouvais pas savoir.
Je grimace, elle ne sait pas le pire.
— Oui pour ça, ce n’est pas ma faute.
Son sourire s’efface aussitôt.
— Quoi d’autre ?
— J’ai oublié ton cadeau à mon appartement.
Je marque une pause, attendant sa réaction. Mais comme elle ne dit rien, je reprends :
— Tu me détestes ? Tu veux annuler le mariage ? Je suis un imbécile, je sais, mais je suis parti si vite que je l’ai oublié sur la table. J’ai passé des heures à te trouver le cadeau parfait pour que cette soirée soit inoubliable et j’ai tout fait foirer !
— Qu’est-ce que c’est ? demande-t-elle seulement.
J’ouvre la bouche puis la referme.
— Ce n’est plus une surprise si je te le dis.
Elle croise les bras sur sa poitrine si peu couverte que j’ai du mal à garder l’esprit clair.
— Tu pourrais au moins faire ça, vu que tu as gâcher notre première Saint-Valentin.
Je plisse les yeux en observant le visage boudeur de ma fiancée. Je commence à reconnaître les expressions de son visage.
— Est-ce que tu es en train de te moquer de moi là ? Parce que je me sens assez mal comme ça.
Sam hésite puis décroise les bras et les passe autour de mon cou.
— Bien sûr que je veux toujours t’épouser. Je t’aime.
— Oui, mais ce soir ? je murmure tout bas.
— Ce n’est qu’une soirée. On en aura des milliers d’autres. Et tu pourras toujours m’offrir ces magnifiques escarpins demain !
Je m’approche pour l’embrasser.
— Attends une minute, comment tu sais pour les chaussures ?
Elle rit et m’embrasse tendrement.
— Tu n’es pas très doué pour garder un secret mon chéri. Ni pour être à l’heure à un rendez-vous apparemment. Pour le mariage, je prendrais les choses en main.
Elle de rit de plus belle et je me détends enfin pour la première fois de la journée.
Ma fiancée aux escarpins roses est là et elle m’aime. Que demander de plus ! »
Jérémy Bigot, votre humble serviteur.