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Bonjour à vous chères lectrices, ici Jérémy Bigot pour un nouvel article du blog de la femme aux escarpins roses.

Aujourd’hui, je souhaite vous parler un peu du métier de ma chère et tendre amoureuse. Comme vous le savez, elle a quitté son emploi dans la communication pour prendre le flambeau de la boutique de chaussures de son enfance qui allait fermer ses portes. Et comme vous le savez aussi, les chaussures c’est sacré pour Sam ! Alors autant vous dire qu’elle ne fait pas les choses à moitié avec « Le Soulier doré ».

« Je gare ma voiture de location contre le trottoir. Je vais devoir acheter une voiture dès que j’emménagerai officiellement ici. Pour le moment, comme je ne cesse de faire des allers-retours entre mon appartement et ici, je préfère m’en tenir à la location.

La lumière est encore allumée dans la boutique, je l’aurai parié. Lorsque j’ai téléphoné à ma fiancée en sortant de la gare et qu’elle n’a pas répondu, j’ai compris qu’elle devait encore être au travail, malgré l’heure tardive.

Depuis qu’elle a signé pour cette boutique, elle en est devenue complètement obsédée. Elle ne pense qu’à augmenter le chiffre d’affaires pour la remettre sur pied. Je la comprends, lorsque je suis au début de l’écriture d’un nouveau manuscrit, je ne pense qu’à cela. Et je ne parle même pas de la phase de correction durant laquelle je peux passer des journées entières enfermé dans mon appartement, le nez rivé sur mon manuscrit raturé de rouge par mon éditrice.

Je récupère le bouquet de fleurs posé sur le siège passager et je sors de la voiture. Une brise glaciale s’engouffre dans le col de mon manteau et me fait frissonner. Une vague de froid s’est abattue sur le pays depuis quelques jours, nous ramenant en plein hiver en ce début du mois d’avril.

Sur la porte, la petite pancarte beige est retournée sur « la boutique est fermée », mais je toque. J’approche mon visage de la vitrine, une main en visière sur mon front, pour jeter un coup d’œil à l’intérieur.

Samantha est penchée sur l’écran de son ordinateur. La lumière bleutée fait ressortir les cernes sous ses yeux. Elle est tellement concentrée qu’elle ne m’a pas entendu.

Je frappe plus fort. Elle relève brusquement la tête et je lui fais des signes, même si j’ignore si elle me voit de l’intérieur.

Elle se lève et s’approche. À ses pieds, de magnifiques escarpins rouges lui donnent une allure terriblement sexy. Elle porte un jean noir mettant en valeur ses longues jambes et une veste noire sur un chemisier rouge. Classique, mais tellement classe. Je souris malgré moi. Nous ne nous sommes pas vus depuis sept longues journées et mon désir se réveille aussitôt.

Sam regarde à l’extérieur et son visage s’illumine aussitôt lorsqu’elle m’aperçoit. Mon cœur se gonfle d’amour et ses battements accélèrent.

Elle m’ouvre et se jette dans mes bras, manquant de me faire tomber. Elle inspire profondément, son visage dans mon cou, et soupire.

— Tu m’as manqué.

— Pas tant que ça visiblement. Je t’ai appelé tout à l’heure, tu n’as même pas décroché, je la taquine.

Elle se redresse et plante son regard océan dans le mien. Quand elle remarque mon petit sourire, elle m’embrasse.

Bon sang ce que ses lèvres m’avaient manqué. Je ne me lasserai jamais de cette douceur. C’est à mon tour de soupirer.

Elle s’écarte les paupières closes et appuie son front contre le mien.

— Allez viens, on gèle dehors, dit-elle en me tirant par le bras pour refermer la porte derrière moi.

Elle ouvre grand les yeux lorsque je lui tends le bouquet de roses roses.

— Si j’avais su que tu portais des escarpins rouges, j’aurai acheté les rouges.

— Elles sont parfaites, répond-elle en m’embrassant une nouvelle fois. Merci.

Elle pose le bouquet sur le comptoir et retourne à son ordinateur.

— Alors comment ça se passe ici ?

Je lui pose la question, même si elle m’en parle déjà à longueur de journée.

— Oh ! Tu sais.

Son ton me fait tourner la tête, mais elle esquive mon regard. Y aurait-il quelque chose qu’elle ne m’as pas dit ?

Depuis qu’elle est propriétaire de « Le Soulier doré », elle fait tourner la boutique, mais aussi la boutique en ligne, elle a créé un compte sur tous les réseaux sociaux importants et fait de la pub partout où elle le peut. Elle a même demandé à la mairie si elle pouvait placarder des affichettes en ville. Ils avaient refusé au début, mais ils ne connaissaient pas encore la motivation sans borne de ma fiancée.

— Je veux juste terminer une petite chose, tu veux bien patienter quelques minutes ? me demande-t-elle d’une petite voix.

La dernière fois que je suis venu, nous avons failli nous disputer à ce sujet. Déjà que nous ne nous voyions pas beaucoup, j’avais été un peu déçu qu’elle me mette de côté pour la boutique. Puis elle m’avait fait remarquer à juste titre que si je ne vivais pas encore ici avec elle, c’était justement pour mon travail. Alors je me contente d’acquiescer.

Je la laisse travailler et commence à marcher dans les deux petites allées de la boutique. Elle a encore fait des changements. Elle ne cesse de changer la décoration, comme si cela pouvait lui ramener plus de clients. Je n’en suis pas certain, mais je m’abstiens de tout commentaire. J’ai la sensation étrange qu’il y a quelque chose qui la tracasse. Plus que d’ordinaire, je veux dire.

J’attends sagement qu’elle termine. Je ne veux pas la brusquer et puis si je commence à lui poser des questions, on pourrait bien passer la nuit ici.

Après cinq minutes, je m’assieds sur un des poufs blancs destiné à accueillir les clients qui essayent des chaussures et j’attends. J’hésite une seconde à sortir mon ordinateur portable pour travailler un peu, mais je me suis promis de lever le pied lorsque je suis avec Sam. Et puis, Agnès ne m’a toujours pas renvoyé mon manuscrit. Normalement, son retour sera le dernier. Ensuite viendra la maquette, puis l’envoi à l’impression. J’ai vraiment hâte d’en terminer avec ce roman et de passer au suivant. Agnès me parle déjà d’une grande tournée de dédicaces à travers tout le pays.

Je lève les yeux vers ma fiancée qui est toujours absorbée dans son travail. Je sors mon téléphone portable. Je traine quelques instants sur les réseaux sociaux, mais je sens que mes paupières sont lourdes, je fatigue. Alors je range mon téléphone et m’appuie confortablement contre le mur en espérant que Sam n’en a plus pour longtemps.

Je commence à m’assoupir quand elle se lève enfin en s’exclamant :

— J’ai fini !

Je m’étire et me lève à mon tour.

— Je suis désolée, je voulais vraiment régler un petit problème avec les pages de ventes sur le site.

Je l’embrasse en guise de réponse.

Elle me sourit, mais je jurerais qu’il y a un peu d’angoisse dans son regard.

Normalement, nous avions prévu de rentrer directement à l’auberge, mais je sens qu’elle a besoin de se changer les idées.

— Ça te dit qu’on aille dîner quelque part ? je propose.

Elle ramasse son sac et ses affaires puis se tourne vers moi.

— Tu n’es pas fatigué ?

Je m’apprête à lui répondre que non, mais je suis trahi par mon corps, je baille longuement et souris.

— Si un peu, mais j’ai envie qu’on sorte un peu. Qu’on fasse autre chose, que manger dans la chambre de l’auberge. Si ça te dit ?

Elle hoche la tête en enfilant sa veste rouge. Ma fiancée et ses accords vestimentaires, c’est toute une affaire !

— Allons-y, dit-elle en ouvrant la porte de la boutique. Ou veux-tu aller ?

Je sors et attend qu’elle ait refermée pour répondre.

— C’est toi qui connais cette ville comme ta poche. Tu as une envie particulière ?

Elle hausse les épaules et je remarque ce qui me chagrine. Son regard semble éteint ce soir, il lui manque une certaine lumière.

— Non, mais je meurs d’envie d’un café au caramel.

Je souris. Ce café est lié à notre histoire, c’est indéniable. Autant que ses escarpins roses.

— Allons-y, je réponds.

Elle passe son bras dans le mien et se colle contre moi. J’aimerais lui demander ce qui ne va pas, mais je crains d’être trop frontal et qu’elle se brusque.

— Qu’est-ce que tu as fait aujourd’hui ? je débute tranquillement.

— Comme d’habitude, j’ai ouvert le magasin et je te l’ai dit, il y a eu quelques soucis avec les pages de ventes de la boutique en ligne. Alors j’ai passé une grosse partie de la journée à tenter de régler le problème. J’ai enfin réussi.

Elle souffle de soulagement.

— Florence, viens toujours te donner un coup de main de temps en temps ?

Elle secoue la tête.

— Non, c’est bon. Elle m’a tout enseigné, je peux m’en sortir seule maintenant. Elle a bien mérité sa retraite et puis elle a bien insisté, si j’ai la moindre question, je peux l’appeler.

Je me racle la gorge, je ne veux pas la blesser.

— Et tu t’en sors toute seule ?

Parfois, je me dis que je devrais avancer mon emménagement pour lui venir en aide. Mais chaque fois que je lui pose la question, elle m’affirme qu’elle gère. Heureusement que j’en ai bientôt terminé en ville.

— Je gère.

J’aurai pu le parier.

— Tu es sûre ?

Elle ralentit et lève les yeux vers moi sans répondre.

— C’est juste que je te sens un peu… Je ne sais pas, tendue. Non ce n’est pas le bon mot, tu ne sembles pas dans ton assiette. Alors je m’inquiète un peu.

Je lui ouvre la porte du café et elle entre. La chaleur nous envahit aussitôt. Nous nous avançons vers le comptoir pour commander. Sam ne m’a toujours pas répondu.

Elle commande une salade césar et un café, et je l’imite. Je n’ai pas très faim.

Je la suis jusqu’à une table au fond de la salle, loin des vitrines qui donnent sur la rue. Nous nous asseyons en silence.

Sam retire sa veste et la pose sur le dossier de sa chaise, sans me regarder. Je l’ai vexé, c’est sûr. Quel imbécile !

— Sam, je…

Je m’avance vers elle, j’attrape sa main sur la table et entrelace nos doigts.

— Tu sais que tu peux tout me dire, n’est-ce pas ? Je suis là pour toi et je serais toujours là pour toi. S’il y a quelque chose qui te tracasse, tu peux m’en parler.

Elle soupire et je sais que j’ai vu juste.

— Non, ça va, mais…

Elle baisse les yeux sur nos mains jointes.

— Je suis inquiète pour la boutique. Ce n’est pas bien grave, tente-t-elle de minimiser.

Pourtant, je vois bien que c’est plus important qu’elle ne le dit.

— Si c’est grave, je tente pour qu’elle se confie, si c’est important pour toi. Raconte-moi.

Elle secoue la tête et nous nous éloignons l’un de l’autre pour que le serveur dépose nos salades et nos cafés devant nous.

Ma fiancée aux escarpins roses attrape sa fourchette et se met aussitôt à manger, comme si elle voulait esquiver notre conversation. Mais moi, je veux savoir.

Je la regarde avaler sa première bouchée.

— Samantha, dis-je d’une voix sérieuse, dis-moi ce qui ne va pas.

Je vois ses yeux se remplir de larmes et sa mâchoire se contracte.

Elle prend un instant avant de lâcher brusquement.

— J’ai peur de ne pas y arriver.

Je ne suis pas certain de bien comprendre de quoi elle parle. Alors avant de me faire un tas de film, je lui demande de préciser.

— Avec la boutique, dit-elle, j’ai peur de ne pas y arriver. Je dis que tout va bien, mais c’est faux. J’ai beau tout tenter et travailler des heures et des heures, il ne se passe rien ! Je ne vais pas tenir Jérémy.

Elle cache son visage dans ses mains et se met à pleurer doucement. Je rapproche ma chaise de la sienne et passe un bras autour de ses épaules pour l’amener contre moi. Je savais que quelque chose n’allait pas, mais je ne pensais pas que ça allait aussi loin. Ma fiancée donne toujours l’impression de tout contrôler, alors que chaque fois qu’elle s’effondre, j’en suis surpris. Pourtant, je devrais le savoir, je commence à la connaître.

J’embrasse ses cheveux et murmure.

— Tout va bien se passer, ma chérie. Tu assures. Vraiment. Tu gères comme une pro, mais il faut du temps pour que tu commences à voir les résultats de tous tes efforts, c’est tout. Il faut que tu sois patiente. Mais il faut aussi que tu penses à te reposer. Tu ne pourras pas tenir sur le long terme en continuant ainsi.

Ça me va bien de dire cela ! Me voilà en train de prodiguer des conseils que je ne suis pas moi-même. Mais qu’importe, ce n’est pas cela qui compte pour le moment.

Je tends une serviette en papier à ma fiancée et elle se mouche.

— Ça va venir, tu vas voir. J’en suis certain.

Elle redresse doucement la tête.

— Tu crois ?

Ses beaux yeux bleus sont emplis de tristesse, ça me serre le cœur.

— Oui.

— Mais, et s’il ne se passe rien ?

Je prends une profonde inspiration avant de répondre.

— Qu’est-ce qui peut être le pire ?

Elle attrape une nouvelle serviette pour s’essuyer les yeux.

— Que je n’arrive pas à remonter le chiffre d’affaires et que je doive fermer la boutique.

— Et que se passera-t-il si tu dois fermer ?

— Je serais vraiment déprimée et je n’aurais plus de travail.

Je hoche la tête et la serre plus fort.

— Oui, mais tu iras bien, et cela même si tu devais fermer la boutique. Tu te relèveras et tu recommenceras le nombre de fois nécessaire. Mais tu n’en es pas là encore. N’est-ce pas ?

Elle hausse les épaules.

— Sam ?

— Non, j’ai encore un peu de répit.

— Bon. Et d’ici là, je suis certain que tu vas arriver à faire revenir la clientèle. Je te connais Sam et j’ai confiance en toi.

Un petit sourire étire ses lèvres et elle m’embrasse doucement.

— D’ici là, je vais déménager le plus vite possible pour te donner un coup de main. Tu travailles trop et je crois que tu es juste fatiguée.

— Tu n’es pas vraiment un vendeur !

J’ouvre grand la bouche, puis la referme.

— C’est vrai, mais tu vas m’apprendre.

Elle se penche et m’embrasse plus longuement.

— Tu es l’homme le plus gentil que je connaisse. Tu le sais ça ?

Je secoue la tête. Ce qu’elle ignore c’est que si je suis aussi gentil avec elle, c’est parce que je suis complètement et éperdument amoureux d’elle. C’est tout.

— Je t’aime, je réponds.

— Je t’aime aussi. J’ai vraiment hâte qu’on se marie et qu’on ait enfin notre maison rien qu’à nous.

J’essuie une dernière larme qui s’est échappé de son œil gauche.

— Encore quelques semaines à tenir et nous l’aurons. Notre nouvelle vie pourra enfin commencer, je chuchote contre sa bouche.

Elle sourit et je remarque que la lumière s’est rallumée dans ses yeux.

— Allez, on mange et après tu vas faire une grosse nuit de sommeil. Demain matin, c’est moi qui irais ouvrir la boutique.

Ma fiancée éclate de rire. Je pourrais me vexer mais je suis prêt à dire toutes les bêtises pour la faire rire.

— Je ne crois pas que ce soit une bonne idée.

— Pourquoi ça ? je demande, un peu vexé.

— Sais-tu ne serait-ce qu’utiliser une caisse ?

Je lui tire la langue et elle rit de plus belle.

— Je t’aime Jérémy Bigot.

— Je t’aime aussi Samantha Ledoux. »

Jérémy Bigot, votre humble serviteur.